Tous les moyens sont-ils bons pour promouvoir le féminisme?
- Forum des Affaires Mondiales
- 20 avr. 2018
- 3 min de lecture
« C’est quoi être féministe en 2018 ? », question sur toutes les lèvres, posée en une des couvertures et dans chaque interview. Erigée en nouvelle tendance sociétale grâce aux mouvements hashtagés et judiciaires. Les réponses sont ici aussi nombreuses qu’il y a eu - et aura - de femmes victimes de sexisme et de misogynie dans le monde.
Et vous alors ? Vous définiriez-vous « féministe » ? Vous sentez-vous « féministe » ? Jaugeons simplement de l’étendue de cette question avec deux points de vues. Celui de Rebecca West d’abord, femme de lettres et assumée féministe anglo-irlandaise, affirmant : « (...) Je sais seulement qu’on me désigne comme féministe chaque fois que j’exprime des sentiments qui me différencie d’un paillasson ». Et maintenant, toujours sur la même question, la réponse du Dalaï Lama : « Je me considère féministe. Car c’est bien comme cela qu’on appelle quelqu'un qui se bat pour les droits des femmes, n’est-ce pas ? ».
Le féminisme hier était de balbutiants rassemblements, dirigés par des femmes visionnaires, rebelles et déterminées. Marche pour le droit de vote, manifestation pour la légalisation de l’IVG, revendications légales.... mais si hier le féminisme se battait pour des droits, aujourd’hui il s’étend et se diversifie dans ses actions pour demander une révision complète et profonde des rapports sociaux. Qui sont les Olympes de Gougeset Simone de Beauvoirde notre siècle ? Pourquoi hier encore Simone Weildemandait la légalisation de l’IVG par un discours à la tribune du Parlement, et aujourd’hui Éloïse Boutondemande l’égalité salariale seins nus devant la mairie de Paris ? Un même dessein pour deux moyens.
Nous sommes dans les années 2000, elles s’appellent Anna Hutsol, Sacha Shevchenko etOksana Shachko : étudiantes à Kiev (Ukraine), elles viennent d'avoir une intuition fulgurante pour dé-ringardiser le féminisme militant. Leur mouvement FEMEN naît d’abord dans les cafés, puis les universités. Mais très vite il s’effondre sur lui-même : entre grandeur et coups bas, concepts libérateurs et actions chocs, règne tyrannique et sectarisme, les FEMEN aujourd'hui sont-elles devenues un moyen de faire sensation ou poursuivent-elles toujours leur but initial ? On ne soulignera ici que la prise de position de la Secrétaire d’Etat française chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes : « (...) encore aujourd’hui la nudité des femmes est considérée comme offensante, quand celle des hommes est vue comme militante ». N’est-ce finalement pas la seule chose à retenir ici ?
Elle s’appelle Wajeha Al Huwaider, elle est journaliste et écrivaine saoudienne. À 7 ans déjà sa maîtresse d’école l’a battu pour avoir joué au foot avec des garçons. 2003, elle est interdite de publication. 2006, elle proteste seule dans la rue vêtue intégralement de rose, en arborant une pancarte : « Accordez leurs droits aux femmes». Rapidement arrêtée, elle persiste dans son combat bien-sûr et en 2008, une vidéo la montrant au volant d’une voiture fait le buzz. Arrêtée en 2011, condamnée en 2013 : elle écope de dix mois de prison pour « incitation à défier l’autorité de son mari».
Pour nous tous conduire une voiture, défiler en rose ou écrire un article, ce sont des choses anodines, banales, du quotidien. Pourtant, Wajeha Al Huwaider s’est retrouvée blessée plusieurs fois sur tout le corps et jusque dans l’âme. Ces tâches de la couleur du ciel sur le corps de cette femme prouvent qu’aujourd’hui plus que jamais tous les moyens ne sont pas anodins pour promouvoir l’émancipation des femmes.
Pourquoi avons-nous l’impression que le féminisme ne peut se construire qu’en s’opposant aux hommes ?Dernier portrait de ce récit : il est un homme courageux, plusieurs fois nommé pour le prix Nobel de la paix et lauréat du prix Sakharov en 2014. Docteur dans l’est de la République démocratique du Congo depuis 1999, Dr Denis Mukwege a soigné des milliers de femmes et de filles violées et agressées. Il dénonce sans relâche, au péril de sa vie, l’impunité et l’indifférence de la communauté internationale devant ces viols - qui sont en réalité utilisés comme arme, dans un contexte de guerre civile sanglante. Un jour une journaliste lui a demandé s’il était féministe, il a répondu « Je ne suis pas féministe. Je suis réaliste !». Et cela ne l’a pas empêché l’année suivante d’être à la tête d’un mouvement d’hommes congolais mobilisés contre les violences sexuelles et la discrimination. Des moyens et actions donc en apparence féministes et une vie vouée à la protection des femmes à jamais blessées : il promeut le féminisme sans en porter le nom.
Ainsi nous le voyons bien qu'il s'agisse de nudité, d'actions quotidiennes ou d'actes héroïques, tous le sommes sont bons pour mettre en avant le féminisme. Mais à l'instar de la maxime latine "L'homme est un loup pour l'homme", le plus grand danger pour les femmes et la promotion du féminisme ne réside ni dans l'ignorance, ni dans l'indifférence et encore moins dans les hommes ... mais bien dans les femmes et leur degré de tolérance entre elles.
* Utilisation du masculin pour alléger le texte.
Sources :
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