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INTERVIEW - Lorena Meneses Urrea, fondatrice du Mareiwa Café

  • Photo du rédacteur: Margaux Dhuicq
    Margaux Dhuicq
  • 20 oct. 2017
  • 8 min de lecture

"Une jeune femme pétillante, déterminée et inspirante", voilà comment nous pourrions décrire en trois mots Lorena Meneses Urrea la fondatrice et propriétaire du Mareiwa Café. La gagnante du Prix Jeune Entrepreneur de la Chambre de Commerce latino-américaine du Québec est dans plus d'une dizaine de publications nationales et internationales ce mois-ci, rencontre avec une entrepreneur étonnante. INTERVIEW!


Jeune femme ayant démarré son entreprise à 25 ans dans le milieu particulièrement masculin de la torréfaction. Pourquoi avoir décidé de relever ces deux défis d’un coup ?


C’est vrai qu’on peut dire que j’ai comme un « package complet » : je suis à la fois une jeune femme, une immigrante et une entrepreneur. Ça a ses bons comme ses mauvais côtés, mais il est vrai qu’au début ça a été difficile.

Je viens d’une famille d’agriculteur en Colombie, mon père a été élevé dans une sorte de café donc cette boisson m’a toujours suivit dans ma vie. J’ai fait des études de sciences politiques et d’immigration, mais j’avais besoin de me prouver que je pouvais être une entrepreneur et changer complètement de domaine. En fait, je voulais faire d’autres choses, ça ne me tentait pas de rester tout le temps dans des bureaux à remplir des dossiers.

C’est pour ça que je suis allée chercher de l’aide en allant voir l’Ecole Professionnelle afin de suivre un cours de management d’entreprise. Ensuite, j’ai continué dans ma lancé et j’ai pris des cours aux Etats-Unis pour apprendre la torréfaction et démarrer mon établissement.

Actuellement, je travaille sur trois volets :

  1. L’importation,

  2. La torréfaction,

  3. La distribution dans mon café avec pignon sur rue.

Prouver que vous êtes capable de mener à bien un tel projet c’est ce qui vous motive justement dans l’entreprenariat ?


Le premier élément qui me motive c’est d’être mon propre boss, ça me permet d’avoir une certaine liberté. Une liberté d’horaires par exemple, même si l’on travaille quatre-vingts heures par semaine. En tant qu’entrepreneur, c’est vrai qu’on ne compte pas nos heures, mais c’est un plaisir de travailler pour soi et pour ce qu’on a créé.

Quand j’ai écrit mon plan d’affaires c’était comme mon « bébé » : je l’ai écrit, je l’ai pensé, je le suis à la lettre depuis toujours et c’est le même plan que j’ai depuis le début. À l’ouverture de mon café donnant sur la rue, je pensais presque que les clients allaient tombés du ciel, comme par magie... évidemment ça ne s’est pas passé comme ça.

En puis quand nous sommes allés rechercher les fournisseurs, on s’est vite aperçu qu’à Montréal il n’y en avait pas. Nous cherchions vraiment des produits qui venaient directement de Colombie et pas acheté on-ne-sait-comment, on-ne-sait-où. Que les produits viennent directement des agriculteurs pour moi c’était important.

Savoir d’où vient le produit, si l’agriculteur est bien payé, pour moi qui suis très impliquée c’est un vrai souci de développement durable. Pour ça je suis allée en Colombie deux mois à peu près, j’ai fait toutes les coopératives, les fermes, j’ai appris des gens. Ca m’a permis de choisir la coopérative avec laquelle je travaille aujourd’hui, par exemple.

Je travaille aussi directement avec des autochtones. C’est comme ça que je suis sûre d’avoir du café de qualité. Pour certains agriculteurs c’est la première fois qu’ils exportent leur café et c’est avec moi : c’est vraiment une fierté de les avoir accompagné depuis le départ, d’avoir fait le certificat d’exportation, les démarches pour que leur café s’en vienne jusqu’ici. Ils ont toujours été très reconnaissants et là j’y retourne pour deux semaines.


Vous l’avez mentionné précédemment, votre formation académique était plutôt politique et migratoire. Est-ce que les compétences que vous y avez développées vous les retrouvez un peu dans vos échanges actuels ou finalement très peu ?


Oui, surtout pour l’administratif avec les certificats d’immigration par exemple. Je travaille également avec différentes cultures pour les cafés verts notamment et savoir comment ils travaillent, comment ils s’organisent c’est un réel avantage.

En politique, c’est plus de savoir comment je vais agir quand je suis à l’international : comment je vais parler, m’adresser. Et puis avoir travaillé pour la Député Fédérale ça m’a aidé à avoir un bon réseau et de nombreux contacts. Pour commencer mon établissement ça m’a beaucoup aidé.

Finalement, c’est un ensemble qui a joué pour que tout réussisse. Mais c’est sûr que la torréfaction n’était pas mon domaine et que j’ai dû aller chercher d’autres formations en entreprenariat, comptabilité, marketing par exemple. Mais c’est sûr que ça n’a pas été des formations aussi approfondies que si j’avais fait un B.A.A. ou un M.B.A.


Vous dites avoir deux grands mentors dans votre vie : votre père – également entrepreneur en exportation – et François Grisé du Conseil régional de la Montérégie Est. Est-ce qu’il y a trois de leurs conseils qui ont marqué votre vie jusqu’à présent ?


Je suis déjà très contente d’avoir ces mentors et particulièrement les parents que j’ai eu. Je viens d’Amérique du Sud, un continent où la femme n’a pas la même place qu’en Amérique du Nord. En Colombie d’où je viens, une femme propriétaire de son entreprise et en plus d’un café c’est quelque chose d’inimaginable, c’est très rare.

Mais mon père nous a toujours élevé comme des femmes fortes, il nous a toujours comme « forcé » à faire ce qu’on voulait et à nous dire « Tient là regarde : tu peux faire ça, vas-y go ! Tu en es capable ! ». Ce n’était pas vraiment un père conventionnel, on n’était pas dans cette image de la femme au foyer... au contraire il voulait vraiment qu’on se développe et s’épanouisse dans ce qu’on faisait. Ça pour moi ça m’a énormément aidé à avoir confiance en moi pour tenter l’aventure.

Ensuite, je suis bien entourée et c’est une de mes grandes chances. Ma famille me soutient et m’aide toujours, mon père a une formation comptable et il m’a aidé pour tout ce qui est chiffres. C’est lui qui gère les comptes du café, par exemple.

Je cherchais aussi une personne de confiance plus objective que mon père, un mentor à part et j’ai rapidement rencontré François Grisé. Je voulais surtout apprendre de ses erreurs, avoir quelqu’un qui sache me dire « non ». Il faut savoir s’entourer pour réussir.


Vous avez parlé de réseau et de contacts tout à l’heure : est-ce que ces derniers se sont acquis au cours du temps ou vous aviez déjà de bonnes bases dès le début de votre entreprise ?


Je n’aurais pas eu la clientèle que j’ai actuellement dans mon café si j’avais directement commencé par l’ouverture de mon établissement. J’ai d’abord fait des marchés, des événements, j’ai participé à des foires, j’ai vendu en épiceries...

Je m’implique partout, le plus possible. À chaque fois qu’ils m’appellent je me rends disponible, quand je peux c’est quelque chose que j’aime faire. Je trouve que j’ai beaucoup profité de ces systèmes d’entraide et de partage, du coup c’est logique pour moi de redonner en échange.


Au quotidien, vous êtes en contact avec des clients, des producteurs, des employés, des entrepreneurs québécois et colombiens. Comment est-ce que vous réussissez à gérer tous ces contacts humains qui sont à la fois très nombreux et très divers ?


On peut dire que je gère deux pays en même temps. En immigration et en sociologie on dit qu’avec les langues on devient presque « deux personnes différentes ». On ne pense plus en termes de mots mais en termes d’idées. Je ne m’adresse pas de la même manière à des Colombiens qu’à des Québécois ou à d’autres personnes. C’est quelque chose qui est devenue naturel avec le temps.


Un établissement comme le vôtre doit avoir sa propre campagne marketing et aujourd’hui ça se fait essentiellement sur internet à l’heure du tout numérique. Est-ce que c’est vous qui l’avez pensé ou vous avez fait appel à des professionnels extérieurs ?


C’est moi qui ai pensé et mis en place ma propre campagne marketing. Il faut savoir que lorsqu’on créé une entreprise, qu’on se lance dans l’aventure le plus difficile c’est de déléguer. On pense que personne ne pourra vendre et comprendre notre business comme nous on le peut.

Pour l’instant j’ai un site internet en construction, c’est un professionnel qui va le faire parce que je n’ai pas de connaissances là-dedans donc je ne m’y suis pas risquée. Facebook c’est facile, on est tous connectés, on sait comment ça fonctionne. Et puis l’application s’est rendue très loin : je peux sélectionner un périmètre de diffusion pour mes publicités, choisir la catégorie de clients que je cible (âge, habitudes...). Ca nous a beaucoup aidé.

Et puis faire moi-même la promotion de ma marque ça fait aussi partie de mon plan marketing : j’essaie de créer une proximité avec les clients.


Si vous deviez refaire votre parcours professionnel aujourd’hui : est-ce qu’il y a des choses que vous voudriez changer ?


Je pense qu’il y a plein d’erreurs qu’on fait au quotidien dans la manière dont on s’exprime, dont on donne l’information, dans notre gestion du temps. Comment on aurait pu entreprendre différemment pour mieux atteindre nos objectifs, mais je pense que c’est dans la défaite qu’on apprend le plus.

Si aujourd’hui j’avais fait les choses différemment, peut-être que je serais allée plus loin ou moins loin. L’important c’est de pouvoir s’écouter : par exemple, je n’ai jamais voulu d’associé, j’ai toujours été toute seule dans mes décisions, mes recherches etc. Au début ça m’aurait aidé, j’aurais eu moins de poids sur mes épaules pendant moins longtemps, mais aujourd’hui c’est passé et je sais que je suis capable de le faire toute seule.


Vous travaillez beaucoup avec des producteurs colombiens : est-ce pour vous la description des médias d’une Colombie divisée, pauvre et encore marquée par les conflits intérieurs est réaliste ou pas vraiment ?


C’est réaliste et quand on prend comme exemple le commerce équitable, on se rend compte qu’il y a énormément de corruption, d’arrangements et même de bureaucratie qui alourdit considérablement l’expansion du pays. Dans d’autres pays le fare trad est possible, mais là en Colombie personne ne reçoit jamais totalement les sommes communiquées par les labels « commerce équitable ».


Nous sommes dans un monde dans lequel les nouvelles technologies prennent de plus en plus de place. Est-ce que vous voyez des conséquences de cela dans votre métier ?


Tout se passe maintenant sur les réseaux sociaux, les gens participent : ils likent, commentent, postent. Mais aussi au niveau du réseau professionnel : beaucoup de groupes d’entrepreneurs, d’immigrés ou d’amoureux du café créent des groupes et favorisent les liens professionnels et amicaux.

Je n’aurais jamais pensé ça avant ! Par exemple quand j’ai dû choisir mon logiciel comptable, j’ai posté sur un des groupes desquels je fais partie et plein de commentaires et de conseils me sont revenus. Un vrai gain de temps et d’efficacité !


Vous avez beaucoup d’autres entrepreneurs immigrés dans votre réseau : quels sont les principaux obstacles que ces derniers rencontrent le plus fréquemment selon vous ?


Dans mon cas j’ai suivi les étapes à la lettre et en prenant mon temps, parce que je suis quelqu’un de très organisée. Mais souvent en Amérique du Sud on est plutôt nonchalant, pas pressé voire parfois en retard. Au Québec, et plus généralement au Canada, quand on se donne rendez-vous à 17h c’est 17h, donc il faut savoir s’adapter : la culture de vie et d’affaire ne sont vraiment pas les mêmes que dans nos pays d’origine.

Je pense aussi qu’essayer de s’adapter à ces nouvelles cultures, tout en gardant notre identité n’est pas toujours facile. Je suis en lien avec la Chambre de Commerce latino-américaine du Québec pour justement intégrer la société canadienne tout en gardant mon identité et mes clients latino-américains. 80% de mes clients sont québécois, il est donc évident pour moi que je dois m’adapter et continuer à m’intégrer à grande échelle.


Qu’est-ce qui vous fait dire qu’aujourd’hui dans le système économique actuel le commerce équitable et l’achat local sont des démarches qui sont en pleine expansion ?


C’est la société je pense : les gens se préoccupent plus de ce qu’ils mangent, d’où est-ce que ça vient, qui l’a produit. Il suffit de regarder le nombre de documentaires qu’il y a sur le sujet. Et puis à l’heure de l’instantanéité avec les médias et réseaux sociaux tout va très vite. Aujourd’hui c’est comme devenue une mode un peu, avant jamais mon grand-père n’aurait regardé le taux de sodium d’un produit !

Personnellement, j’ai toujours été très préoccupée par ce que je mange : je regarde toujours les étiquettes, je compare beaucoup... c’est une évidence pour moi et c’est ce que j’applique au quotidien pour mes cafés.


* Merci à Lorena Meneses Urrea d'avoir pris le temps de répondre à nos questions (la page du Mareiwa Café).


** Entrevue menée par Margaux DHUICQ et Martin LE TALLEC.

*** L'utilisation du masculin a été faite pour alléger le texte.


 
 
 

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